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Le blog de la bi-licence Droit espagnol de Nanterre

L’évolution des droits des minorités sexuelles à Cuba de la révolution castriste (1959) à aujourd’hui par Sarah Adi Belechili, Heydy Polo Ortiz, Marie Ki-siong, Et Laura Dias

27 Mai 2019 , Rédigé par Nathalie Jammet-Arias

Le terme de « minorité » n’a pas de définition claire et précise au niveau du droit international public. Dans les conventions relevant de ce droit – comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales – sa définition est simplement sous-entendue. Cependant, un groupe minoritaire peut s’entendre comme « un groupe numériquement inférieur au reste de la population d'un État, en position non dominante, dont les membres – ressortissants de l'État – possèdent, du point de vue ethnique, religieux ou linguistique, des caractéristiques qui diffèrent du reste de celles de la population et manifestent, même de façon implicite, un sentiment de solidarité, à l'effet de préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue », (Francesco Capotorti et Jules Deschênes dans une étude pour l'O.N.U. de 1991).

En reprenant les termes de cette définition et en s'intéressant de plus près à Cuba, nous pouvons constater que les minorités les plus revendicatives au sein de cet État sont les minorités sexuelles, c’est pour cette raison que nous avons choisi de nous focaliser sur ce thème. Ces minorités ont longtemps été persécutées par le gouvernement castriste. Ainsi, le présent exposé a pour but d’analyser et de montrer l’évolution de la protection et de l’acceptation des minorités sexuelles à Cuba.

 

  1. De la persécution à la révolution

 

Suite à la révolution cubaine, la communauté LGBT est vue comme une ennemie de l'idéologie castriste, ce qui explique la forte répression à son égard. Cependant, cette idée va évoluer avec une remise en cause de la situation des minorités sexuelles en lien avec l'évolution des mentalités.

 

 

 


    A.  La persécution des minorités sexuelles

 

Dans les années 1960 et 1970, une forte discrimination à l’encontre des homosexuels, a eu lieu à Cuba. À l’époque, l’homosexualité était considérée comme un trouble psychiatrique. De ce fait, des thérapeutes étaient chargés de « convertir » les homosexuels à l’hétérosexualité. A ces préceptes, a priori scientifiques et religieux, s'ajoutèrent des mesures révolutionnaires. En effet, la révolution de 1959, signe le début d'une chasse aux contre-révolutionnaires, donc aux homosexuels, perçus comme produits de la société capitaliste et « agents de l'impérialisme ». Des personnes homosexuelles (ou identifiées comme telles) ont été incarcérées dans des camps appelés « Unités militaires d’aide à la production » (UMAP) entre 1965 et 1968. Fidel Castro pensait que le travail forcé débarrasserait les hommes de leurs tendances contre-révolutionnaires. D’après l’écrivain cubain Jacobo Machover, on pouvait lire à l’entrée des camps l’inscription : « Le travail vous rendra homme ». Puis, lorsque les camps furent fermés, les personnes homosexuelles se virent refuser l’accès au travail à cause de leur « déviance idéologique ». En outre, de nombreuses lois, comme celles interdisant les actes homosexuels, visaient à museler cette minorité. C'est le cas de la « Ley de ostentación pública » qui allait jusqu'à permettre l’emprisonnement des personnes pour avoir eu une attitude homosexuelle.

Toutefois, depuis la fin des années 1970, le pays semble de plus en plus ouvert à la communauté « LGBT ». Ainsi en 1979, l'homosexualité à Cuba a cessé de faire l’objet de poursuites pénales.

Lors des réformes du code pénal cubain de 1988 et 1997, tous les articles discriminatoires à l’encontre des minorités sexuelles ont été révisés. La  « Ley de ostentación pública » fut abrogée en 1988.  Cela étant, jusque dans les années 1980, des rassemblements de masse dénonçant l’homosexualité étaient organisés par le régime. Mais, malgré cette dépénalisation, la Constitution datant de 1976 définit toujours le mariage comme « l'union volontaire entre un homme et une femme ».

 

B. Une remise en question de la situation des minorités sexuelles

Le 18 Décembre 2008, Cuba a adopté, au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies, la Déclaration contre les violations des droits de l’Homme fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. La même année, le gouvernement cubain a adopté une loi permettant l’accès gratuit à des opérations chirurgicales pour changer le sexe des personnes transgenres. Ces personnes pouvaient aussi changer de prénom et recevoir de nouveaux papiers d’identité même si elles n’avaient pas fait l’objet d’une opération chirurgicale. Toutefois, Cuba et son corps médical se sont intéressés à la transsexualité depuis 1979. En effet, la première opération chirurgicale a été effectuée en 1988 mais ce n’est qu’à partir de 2005 que la stratégie nationale de soins des personnes transgenres a évolué. Prenant un cas un peu plus concret et particulier, en 2008, Pedro, un citoyen cubain qui se travestit pendant des mois, a décidé de changer de sexe. Il a été opéré gratuitement dans un hôpital de la capitale cubaine grâce au Cenesex, et possède aujourd’hui des papiers d’identités mentionnant son sexe féminin.

Tous les frais (une opération de ce type est facturée autour de 15 000 euros en Europe, «beaucoup moins à Cuba» selon les autorités qui ne donnent cependant pas de chiffres) sont entièrement pris en charge par l’Etat. Maintenant Pedro s’appelle Anita et espère pouvoir un jour ressembler à Marylin Monroe. Elle fait partie du petit groupe des seize transsexuels opérés gratuitement depuis 2008 à Cuba, une première mondiale. Malgré cette évolution considérable pour la communauté LGBT à Cuba, le mariage homosexuel n’est toujours pas admis dans le droit positif.

En effet, un projet de loi a été déposé à l’Assemblée Nationale cubaine en 2008 sur ce sujet. Cependant, ce dernier n’a pas prospéré. En décembre 2013, l’Assemblée Nationale cubaine a modifié le code du travail afin d’interdire les discriminations faites au travail, notamment celles fondées sur l’orientation sexuelle. Ces dispositions sont entrées en vigueur en 2014. Aujourd'hui, Cuba est considéré comme l'un des pays les plus tolérants de la région. Néanmoins, cette acceptation est à nuancer dans la mesure où la réalité des faits n'est pas toujours en accord avec les textes. Effectivement, les discriminations et les violences se perpétuent. En 2015, 88 % des 160 personnes interrogées par le Centre national d'éducation sexuelle cubain ont été victimes d'actes homophobes.

 

  1. La révolution des minorités sexuelles

Prenant de plus en plus conscience de leurs droits, la communauté LGBT à Cuba se manifeste davantage ce qui a conduit à une adaptation du système castriste par rapport à la zone régionale et cela a entraîné également une affirmation de leurs droits. Cependant il conviendra de constater que cette affirmation est relative.

 

  1. Une adaptation du système castriste par rapport à la zone régionale

L’année dernière, plus précisément le 21 Juillet 2018, un projet de Constitution a été présenté au Parlement cubain. Ce projet ouvrait les portes à une légalisation du mariage pour les personnes de même sexe, sujet qui a été l’une des principales revendications de la communauté LGBT de l’île de Cuba. En effet, l’article 8 de ce projet de Constitution définissait le mariage comme étant « l’union consentie volontairement entre deux personnes ».

C’était une grande nouveauté étant donné que la Constitution cubaine de 1976, actuellement en vigueur, présente le mariage comme « l’union volontaire entre un homme et une femme ». Cette évolution des mentalités cubaines est le fruit également d’un travail effectué par le gouvernement cubain qui a entrepris des nombreuses actions. On peut citer l’exemple du film  Fraise et Chocolat de 1993 qui a été financé en partie par l’État. C’est le premier film traitant de la discrimination des homosexuels par le Parti communiste dans les années 70 et 80. De plus, Fidel Castro, à l’occasion d’une interview pour le journal mexicain “la Jornada” en 2010, a reconnu sa responsabilité dans la persécution de la communauté LGBT. En outre, Mariela Castro, nièce de Fidel Castro, qui dirige le Centre National pour l'Éducation Sexuelle (CENESEX), a amélioré l’image de Cuba après la marginalisation des années 60 à travers cette institution. Et plus récemment, le président actuel, Manuel Diaz-Canel s’est prononcé en faveur de cette nouvelle définition du mariage donnée par le projet de Constitution. Un référendum était prévu pour le 24 Février 2019, sauf que cette réforme a été largement rejetée par la population cubaine notamment à cause des pressions exercées par les Églises catholique et évangéliques. En effet, l’Église cubaine est une institution “bien implantée et écoutée” dans la culture du pays et s'oppose catégoriquement au projet en le qualifiant de “colonialisme idéologique”. L'église méthodiste de La Havane est en ce sens recouverte d'une affiche où est inscrit sur un dessin représentant un couple hétérosexuel et deux enfants : « Je suis pour le modèle original ».

Cependant, depuis 2008, une semaine d’activités LGBT est organisée à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie. On constate donc une tendance à la normalisation de l’homosexualité et de la transsexualité. Ce mouvement s’est appuyé sur une stratégie éducative sur le respect de la liberté et de la responsabilité en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Cependant, l’homophobie et la transphobie demeurent présentes et des cas de discrimination sont observés, notamment dans le domaine du logement. Par ailleurs, la situation des femmes homosexuelles est plus difficile compte tenu de la valorisation des rôles féminins traditionnels dans la société cubaine mais aussi en raison de stéréotypes dénigrants à l’égard des lesbiennes, en particulier les femmes noires qui font aussi face au racisme. En dépit de changements majeurs dans les domaines légaux et médicaux et d’initiatives visant une approche globale de la santé des personnes transgenres et transsexuelles, ces dernières font encore face à des préjugés liés à la vision populaire de la transsexualité comme étant une pathologie. De plus, le travestissement dans un contexte festif et privé est accepté, mais l’idée d’un homme qui affiche publiquement son état transgenre demeure largement un tabou dans la société cubaine.

Il existe donc quelques lieux à La Havane (bars et discothèques) ouverts aux minorités sexuelles et plusieurs espaces publics sont utilisés par elles afin de se rencontrer. Exemple : la discothèque Escaleras del Cielo à la Havane.

 

  1. Une consécration relative des droits des minorités sexuelles                                                      

Compte tenu de ces évolutions, un nouveau texte constitutionnel a été rédigé par une commission composée de 33 députés et présidée par Raul Castro, qui demeure le premier secrétaire du comité central du PCC après l’élection de M. Diaz-Canel, le 19 avril 2018. Un débat public s’est par la suite tenu entre août et novembre 2018, et des modifications ont été proposées par des assemblées de quartier, des centres de travail et des universités. Le nouveau projet de constitution énonce à son article 68 que « Le mariage est une institution sociale et juridique. La loi définira le reste des éléments ». Dans notre cas, ça sera donc au code de la famille de trancher le débat sur le mariage homosexuel. Il reste encore du chemin à parcourir pour que le mariage homosexuel soit inscrit comme un droit constitutionnel.  

On dit souvent, et à juste titre, que le critère d'une vraie démocratie est le sort qu'elle fait à ses minorités ; d’ailleurs les minorités représentent pour une nation une incomparable richesse. Représentant une autre culture, une autre manière de voir le monde, elles donnent à une communauté nationale cette sensibilité plurielle, cette flexibilité sociale qui permettent de comprendre le monde et de s'y adapter. C’est pourquoi finalement, après des décennies de persécutions, la communauté LGBT cubaine semble reprendre progressivement ses droits, notamment avec l'acquisition potentielle du droit de mariage. Il existe donc une acceptation de cette communauté mais la protection envers celle-ci est minimale. En effet, les actes homophobes et les discriminations sont encore présents, notamment dans les campagnes culturellement conservatrices.

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